Les sculpteurs

Bruno PANAS

A propos de la statue de Per Guillou par Bruno Panas

Quelques réunions exprimant une latence que je me mis quelque part, je ne sais où, dans mon être, peut être à se mouvoir au fil des frottements et acquisitions dans les mondes souterrains inconnaissables. De toute façon, c’est arrivé: il faut le faire…Faire un  » Per Guillou  » que je ne connais pas, juste deux, trois pages, deux photos. Essayer d’étoffer le dossier, pas facile : c’est un être secret, à l’ancienne, timide, dans sa tour de musique, construite magiquement, brique après brique, dans un yoga total : de la confection de l’instrument jusqu’à la transmission de la musique du passé, écoutée, apprise d’oreille, oreille d’oralité, oralité de rituel, très ancienne, yoga intégral tout à la conception d’un maillon solide, d’une chaîne de sensibilité.

Heureusement, quelques anges ont travaillé sur son sujet : une mémoire, quelques photos supplémentaires me parviennent. Il faudra faire avec, parce que, même les anciens du bas de la gare à Carhaix n’ont pas grand chose. C’était plutôt un solitaire d’après les sources du réseau breton. De toute façon, il me fallait le connaître par l’esprit, pour l’abstraire par la forme, en transcrire l’intrinsèque dans une forme pure. Très rapidement, l’évidence d’un figuratif s’est imposée après infiltration insinueuse. Et puis, l’éclosion : je me suis dit, à la surface de mon intériorité,  » je vais leur péter un figuratif « , bien XIXème, comme il faut, comme le personnage me le dicte. Lui qui était un passant interprète de ce que le 19ème siècle avait retenu de la longue histoire de la musique de cette terre d’Armorique.

Savoir si c’était une sculpture au service du personnage ou au service de mon expression !

Puisque c’était un sujet de projet, comme le thème ou la commande, la première proposition s’imposait. De toute façon, le choix n’est pas resté en balance longtemps. La sculpture s’est imposée, assez rapidement, d’elle-même. Quelques nuits, dans les entre-deux, à la frontière des consciences ont produit les visualisations initiales aux maquettes. Trouver un visage moyen, dans la terre, avec quelques fragments de photocopies. Un visage moyen, c’est le résultat du mélange du trois quarts avant haut, vu en plongée du visage, à l’age de 37 ans et demi, harmonisé avec les mèches d’un autre temps, le profil lorsqu’il avait 25 ans, 3 ou 4 paires de moustaches et l’invention de ce qui est, de toute façon, toujours cachée, chez les sonneurs, c’est à dire une grande partie de la bouche. Je ne parlerai pas de la fiabilité des photocopies de photocopies, puisqu’il y en avait 4. Pas assez pour une statistique.

Trouver un visage moyen, bon ! Mais raconter une histoire ? Une histoire de sonneur breton du centre Bretagne, dans un parallélépipède de 80/100/270. Elle s’est déroulée naturellement, peut être trop naturellement.  » Mais bon, c’est une maquette !  » Cela ne prédit pas l’avenir. Juste un travail sur une éventuelle exécution en pierre. Donc, autant résoudre des problèmes de pierre. Une première approche taillée dans le plâtre au 1/10, comme j’aime faire, à la pointe du couteau. C’est la recherche, avec droit à toutes les erreurs.

Je ne parlerai pas de mes goûts écologiques pour la mousse de polyuréthane. De toute façon, je l’ai enduite : blanc pour le travail des valeurs, c’est plus révélateur.

Mais dans ce mois d’exécution, petit à petit, une présence est arrivée dans l’atelier, dans l’atelier de ma tête. C’est du naturel, du naturel… Il y a un ou des continuums auxquels on accède en création. Enfin, on y accède ou c’est le contraire ou le contraire réciproque ou si ça a un sens dans les plusieurs sens. Enfin, je me comprends ou peut être pas !

Enfin, à la fin, c’était là : un personnage double, bombarde et biniou coz de le renommer en faisceau, sur un tas de sabots et souliers de la percussion noçarde, tassés dans le bloc, s’interpénétrant, se dédoublant, s’harmonisant d’être et de musique.

Ah ! J’ai oublié, je voulais y mettre une bonne bouteille et reposant sur une peau gonflée de biniou coz, un verre de la solitude, bien vide, quand tout est bu.

                                                                       Bruno PANAS, Budapest le 18 mai 2003.

Bruno PANAS réalisera aussi la statue de Jude Le PABOUL

Bernard Sam MIGUEL

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A propos de la sculpture d’Angèla DUVAL

A l’occasion de cette proposition de réaliser un krommlec’h, où chaque élément mégalithique est une sculpture à la mémoire d’une personnalité de la culture bretonne, mon choix s’est porté sur Angèla Duval, paysanne et poétesse.

Bien que n’étant pas vraiment bretonnant, j’y ai été sensibilisé assez tôt par mon grand-père, trégorrois comme Angèla, paysan ébéniste et un peu poète (en breton et en français). J’ai été touché dès 1970 par la personnalité d’Angèla lors de l’émission de TV  » les conteuses  » d’André Voisin que j’ai revue il y a quelque temps à Vieux-Marché même là où vivait Angèla.

Dans notre monde de folie, de vitesse, d’argent et de volonté de puissance et de domination des uns sur les autres, à l’heure où notre terre est bien malade et où l’on sera bientôt fiché en  » code barre  » ou pourvu d’une puce électronique comme du bétail, il est important de résister et de plonger dans nos racines les plus lointaines non pas pour s’enfermer et tourner le dos à l’avenir mais au contraire pour s’y ressourcer et s’ouvrir d’avantage à ce qui vient, à l’universel.

A l’instar des poètes  » trancendalistes  » tels Henri David Thoreau, Emerson, Walt Whitman et d’autres, Angéla me semble posséder quelque chose de cette veine là. Son amour de la terre, de la nature, de son pays, de l’humanité entière, sa vie humble à  » Traou an dour  » rythmée par le travail de la terre.  » La terre est pour moi comme un grand livre  » ;  » Il faut au moins dix poètes pour faire un bon ouvrier agricole « … Et aussi son ouverture d’esprit et de cœur :

– Elle traduit Rabinadrath Tagore du français en breton

– Elle dit  » qu’un nouveau voisin est un monde à découvrir « 

– Sans oublier quelques coups de colère et un coté un peu rebelle, résistante

 » Je ne veux pas d’une Bretagne de poche « .

Tout ceci m’a amené à chercher une manière simple et sobre de l’évoquer plutôt que de la représenter, en tenant compte des critères de réalisation :

– Elévation verticale, forme mégalithique

– Choix d’un granite, inscription dans le projet krommlec’h

– Ce sera donc un bloc de granite beige d’environ 3 mètres taillé en  » pain de sucre « , assez doux, fait de courbes évoquant la féminité. Bien planté droit dans le sol (affirmant la dignité qui émane d’Angéla). Quelques sillons montant verticalement jusqu’au 2/3 du bloc seront comme l’émanation d’une source jaillie du sol, évocation des forces terrestres oú elle a puisé son inspiration. Elles montent au niveau du cœur oú se fait la transmutation pour nourrir l’esprit qui est représenté par le vide, le trou dans la pierre, comme dans la croix celtique. Le passage de la lumière se manifeste par les rayons gravés de part et d’autre de ce passage.

– Le tout travaillé à la pointe (smillée manuellement, comme une méditation très concrète). Travail au ciseau pour affirmer le dessin des courbes et laissant une impression assez sobre, voire discrète, mais essentielle, d’une présence persistante, ce que permet le granite quand on le laisse vibrer dans la lumière.

Bernard Sam Miguel – 26 mai 2003